L’ergonomie au travail : comprendre, prévenir et transformer nos milieux professionnels
- emily goupil
- 5 oct.
- 5 min de lecture
Introduction
L’ergonomie, c’est plus qu’un simple ajustement de chaise. C’est une science humaine appliquée, au carrefour de la santé, de la productivité et du bien-être.
En tant que spécialiste en ergonomie, j’ai vu à quel point ce mot est mal compris : on le réduit souvent à une question de confort, alors qu’il s’agit avant tout d’adapter le travail à l’humain — et non l’inverse.
Ce guide complet vous permettra de comprendre :
ce qu’est réellement l’ergonomie (dans le sens scientifique et francophone du terme) ;
pourquoi elle est essentielle aujourd’hui dans nos bureaux, ateliers ou établissements publics ;
et comment elle transforme durablement la santé, la performance et la satisfaction au travail.
1. Pourquoi l’ergonomie est-elle si importante ?
🌍 Un enjeu humain et économique
Les troubles musculosquelettiques (TMS), le stress postural et la fatigue cognitive représentent aujourd’hui une part majeure des absences et des coûts en santé au travail.
L’ergonomie agit à la source : elle vise à réduire les contraintes physiques, psychologiques et organisationnelles qui mènent à ces problèmes.
📈 Un investissement rentable
Selon plusieurs études (INRS, IRSST, CNESST), chaque dollar investi en ergonomie rapporte entre 3 et 6 $ en productivité et réduction d’absentéisme.
Au-delà des chiffres, c’est un levier stratégique pour fidéliser les employés et améliorer la qualité du travail.
🧭 Une discipline en évolution
Le courant francophone de l’ergonomie — issu notamment des travaux de Wisner, Laville, Montmollin ou encore Leplat — met l’accent sur l’analyse du travail réel, c’est-à-dire ce que les personnes font concrètement dans leur activité quotidienne, au-delà de ce qui est prévu dans les procédures.
Cette approche distingue profondément l’ergonomie francophone : elle place le vécu du travailleur, de l’usager ou de l’opérateur au cœur de l’analyse, en cherchant à comprendre comment chacun s’adapte, régule et compense les contraintes du travail pour atteindre ses objectifs malgré les obstacles.
Le courant américain, quant à lui, s’est développé à partir des années 1940 autour du concept de Human Factors, influencé par la psychologie expérimentale, le génie industriel et la recherche militaire.
Il s’intéresse davantage à la conception des systèmes, des équipements et des interfaces, avec pour objectif principal d’optimiser la performance, la sécurité et la fiabilité humaine dans les environnements complexes.
Cette approche, plus technocentrée, a donné naissance à des outils de mesure et à des normes de conception qui complètent bien la perspective francophone centrée sur l’activité humaine.
Au Québec, ces deux traditions se rejoignent dans une approche équilibrée et intégrative. Les travaux de Marie Saint-Vincent et de l'équipe de l’IRSST (Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail) ont été déterminants dans cette synthèse. En combinant la rigueur scientifique de la mesure (inspirée du courant nord-américain) et l’analyse participative du travail réel (héritée du courant francophone), leurs recherches ont permis de développer une ergonomie appliquée, ancrée dans la réalité du terrain québécois.
Cette approche contribue aujourd’hui à la prévention des troubles musculosquelettiques (TMS) au Québec, à la conception de postes de travail durables et à la promotion d’une culture de santé au travail centrée sur l’humain.
2. Qu’est-ce que l’ergonomie, concrètement ?
🧠 Une science de l’adaptation
L’ergonomie s’intéresse à la relation entre l’humain, ses outils, ses tâches et son environnement.
Elle combine des savoirs issus de la physiologie, de la psychologie, de la biomécanique et des sciences sociales.
Son objectif : concevoir ou transformer les situations de travail pour qu’elles respectent les capacités et les limites de l’être humain.
🪑 Trois grands dimensions d’intervention
Dimension physique – posture, efforts, mouvements, prévention des TMS, aménagement de poste.
Dimension cognitive – charge mentale, attention, prise de décision, interface homme-machine.
Dimension sociale (organisationnelle) – horaires, communication, coordination, conception des processus.
Ces trois dimensions se complètent et permettent une approche globale : adapter les outils, les environnements et l’organisation pour que le travail soit soutenable.
3. L’ergonomie francophone : une approche centrée sur le travail réel
🔍 L’analyse de l’activité
Contrairement à la vision plus “nord-américaine” centrée sur le produit ou l’équipement, le modèle francophone privilégie l’observation et l’analyse du travail dans son contexte.
On ne cherche pas seulement à ajuster un siège, mais à comprendre les gestes, les contraintes, les détours et les régulations que les gens développent pour bien faire leur travail.
🤝 La participation des acteurs
L’ergonome n’impose pas de solution : il co-construit les changements avec les travailleurs, gestionnaires, concepteurs et services SST.
C’est ce dialogue constant qui permet d’obtenir des solutions durables, réalistes et acceptées par tous.
4. L’ergonomie au Québec : entre tradition et innovation
Au Québec, l’ergonomie s’est implantée dans les années 1980, portée par les milieux de recherche et la CNESST, puis intégrée aux pratiques de santé-sécurité et de gestion de la performance.
Aujourd’hui, elle s’étend bien au-delà des usines :
dans les bureaux (télétravail, postes ajustables, bien-être organisationnel),
dans les établissements publics (éducation, santé, municipalités),
et dans les milieux industriels (manutention, outillage, prévention des TMS).
Cette approche “à la québécoise” combine la rigueur scientifique du courant francophone avec la souplesse et l’efficacité nord-américaine en matière de prévention et d’innovation technologique.
5. Comment appliquer l’ergonomie dans votre milieu ?
Observer et écouter le travail réel
– Discuter avec les employés pour comprendre leurs contraintes et solutions.
Analyser les postes de travail
– Identifier les facteurs de risque physiques, cognitifs et organisationnels.
Ajuster et concevoir avec les utilisateurs
– Impliquer les travailleurs dans le choix des équipements ou aménagements.
Former et accompagner le changement
– L’ergonomie n’est pas un correctif ponctuel, mais une démarche continue.
Conclusion : l’ergonomie, une science de l’humain au cœur du travail
L’ergonomie ne se limite pas à améliorer le confort : elle renforce la santé, la performance et le sens du travail.
En appliquant une démarche ergonomique, chaque organisation peut transformer son environnement de travail en un espace plus humain, productif et durable.
📍 Si vous souhaitez en savoir plus ou planifier une évaluation ergonomique, visitez notre section Services d’ergonomie ou contactez notre équipe à info@zesst.ca.
Références et sources
Ouvrages et publications francophones
Wisner, A. (1997). Comprendre l’ergonomie : le travail et l’humain. Paris : Éditions de l’ANACT.
Leplat, J. & Montmollin, M. de (2001). Vocabulaire de l’ergonomie. Paris : PUF.
Laville, A. (2000). L’ergonomie et l’activité humaine. Presses Universitaires de France.
INRS (France). L’ergonomie au service de la prévention des risques professionnels. https://www.inrs.fr
Courant nord-américain (Human Factors)
Wickens, C. D., Lee, J., Liu, Y., & Becker, S. (2021). An Introduction to Human Factors Engineering (5th ed.). Pearson.
Sanders, M. S., & McCormick, E. J. (1993). Human Factors in Engineering and Design (7th ed.). McGraw-Hill.
Helander, M. (2006). A Guide to Human Factors and Ergonomics (2nd ed.). CRC Press.
Travaux québécois et canadiens
Saint-Vincent, M., Chicoine, D., & Denis, D. (2010). La prévention des troubles musculosquelettiques liés au travail : l’approche ergonomique. Montréal : IRSST.
IRSST (2023). Facteurs humains et organisationnels : publications et guides pratiques. https://www.irsst.qc.ca
CNESST (2024). La prévention des TMS au Québec : cadre et outils d’intervention. https://www.cnesst.gouv.qc.ca

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